[1] Motivé(e) en latin.
« Ils (elles) ne sont pas motivés (es)… ! »
On ne compte plus le nombre de fois où tous secteurs d’activités confondus, des responsables, quels que soient leurs niveaux hiérarchiques, prononcent à l’emporte-pièce à l’endroit de leurs (es) subordonnés (es) cette sentence sans appel !
Faut-il avant tout rappeler l’étymologie du mot « motivation »… ?
Selon GBNEWS[2], motivation vient du mot « motif », lui-même emprunté au latin « motivus » qui veut dire « mobile » et « movere » dont l’équivalent en français est se mouvoir.
On peut en conséquence traduire la motivation comme étant « ce qui donne des envies et/ou des motifs à agir… à se mettre en mouvement ».
Être motivé (e) ne serait donc pas pour les humains un état inconditionnel naturel, mais bien la résultante de la création à leur égard, d’un contexte psychologique, mental et physique favorable au déclenchement de leur « mise en marche » ; dit autrement, la « clé » décisive du mécanisme de l’enchainement épanouissant des actions productives rétribuées ou gracieuses… !
Ainsi, créer un environnement et un contexte entrepreneuriaux suscitant la motivation de ses coéquipiers serait bien, aujourd’hui, le singulier défi imposé à tout responsable, pour les attirer, les recruter, les mobiliser, les enthousiasmer, les passionner, les fidéliser, les responsabiliser !
Le challenge est d’autant plus difficile à relever que peut se poser au sein d’une même entreprise avec une intensité aigüe, une problématique générationnelle liée d’une part, à l’évolution sociétale du 20ème au 21ème siècle et d’autre part, à l’apparition concomitante de nouveaux codes : ceux des progénitures « Z »[3] qui veulent changer le monde (après la lignée des « X » qui ont vu la société se transformer à leur bénéfice et celle des « Y » qui ont grandi avec internet et les réseaux sociaux).
Des multiples contacts, rencontres, entretiens, échanges professionnels et/ou simples conversations privées avec ces N.A.S « Nouveaux Acteurs de la Société » croisés au cours de missions en tous secteurs d’activité et régions confondus, jaillissent systématiquement et presque dans l’ordre, les réponses suivantes à la questions relative aux sources de leur envie ou désir de se mobiliser, dans et pour, une entreprise, voire à leur simple appétence pour l’intégrer…
- Le partage d’une vision et de valeurs (un sens – une logique – une exigence éthique).
- Le référentiel de management (état d’esprit – doctrine).
- L’équité et l’exemplarité (la justice – le modèle).
- Le respect et la confiance (la considération – la conscience).
- Le professionnalisme et la réussite (la compétence – la performance).
- La cohérence et la cohésion (la solidité – la stabilité).
- La reconnaissance et l’enrichissement (la légitimation – l’épanouissement).
… viennent ensuite …
- L’écosystème professionnel (relations interentreprises – rapports avec le territoire).
- Les modalités organisationnelles d’exercice de la mission (présentiel – distanciel).
- Les facilités permettant l’équilibre des champs de vie (déplacement – rythme de travail – services sociaux internes – temps et moyens de respiration…).
- L’environnement et l’équipement « métier » (lieu – espace individuel et/ou collectif – matériel).
… enfin…
- La contrepartie financière de la création de valeur et son partage.
A l’évidence, on est ici très loin des canons du rapport « employeur dominant/employé dominé » au siècle précédent !
Troublés, déstabilisés par cette nouvelle donne, par cette inversion de facteurs (le renversement de la pyramide de Maslow[4]), nombreux sont les chefs d’entreprise qui s’interrogent à l’instar de celui-ci…
« J’exerce mon métier dans les règles de l’art… je respecte les dispositions de la convention collective… j’embauche mon personnel en contrat à durée indéterminée à 95%… j’offre des salaires plutôt bons… je considère mon équipe… je ne comprends pas pourquoi je manque toujours de salariés… et pourquoi chaque année je subis des départs non souhaités… ? »[5]
- Le recrutement et l’embauche « traditionnels » aux conditions du marché dans le secteur concerné ne seraient-ils donc plus naturels, ni automatiques ?
- L’employeur ne choisirait-il plus discrétionnairement ses équipiers, imposant ses conditions ?
- Le rapport de force offreurs/demandeurs d’emplois se serait-il inversé ?
Il n’est pas impossible que la réponse à ces questions résulte du fondement de leur formulation !
Il semble en effet, qu’à de très rares exceptions près, les employeurs depuis des lustres ne se soient pas posé la question de l’éventualité d’un changement de paradigme dans l’ordre des pouvoirs décisionnels en matière d’emploi ; qu’ils aient considéré comme définitivement acquise leur domination du système, l’offre d’une place étant souvent assimilée à une forme d’aumône généreuse pour qui est en recherche de travail par nécessité de ressources.
Bien que notre société ait considérablement évolué depuis les « Maîtres de Forges »[6] au modèle social « paternaliste », jusqu’à l’apparition de cette pandémie révélatrice, dite de la COVID 19[7], force est de constater que le pouvoir en matière d’emploi a été très nettement en faveur de l’employeur.
Mais dans les relations entre les êtres humains comme en économie, « l’éternité c’est l’instant présent. Le passé et le futur ne sont que des vues de l’esprit ! »[8].
Il aura donc suffi d’une épidémie planétaire avec confinement de longue durée des populations laborieuses, imposant entre autres mesures de protection, la généralisation du télétravail, pour que brusquement la plupart des « travailleurs » prennent le temps de réfléchir à leur état, à leurs conditions de travail et s’interrogent sérieusement sur leur qualité de vie professionnelle, familiale et sociale ; d’où des démissions en chaines et des secteurs d’activité soudainement devenus victimes de pénuries de main d’œuvre (hôtellerie/restauration – bâtiment – travaux publics – commerce – transport – santé…).
Ainsi faudrait-il désormais se soumettre aux exigences des candidats à l’embauche pour qu’ils consentent à agréer et rejoindre l’entreprise ?
En réalité, ce qui est considéré par certains réactionnaires comme un crime de lèse-majesté outrageant, n’est tout simplement qu’un rééquilibrage légitime, logique, juste, du rapport « embaucheur / embauché » et de l’échange corrélatif « valeur perçue par l’auteur d’un travail / valeur créée pour le destinataire d’un travail ».
Pourrait-on concevoir en ce siècle, de continuer à solliciter des Hommes,[9] leur conscience professionnelle, leur engagement total, leur effort physique et/ou mental, leur créativité… plus globalement leur contribution inconditionnelle complaisante à la création de valeur collective pour autrui, sans se préoccuper véritablement des conditions de leur épanouissement personnel, familial et social, de leur bien-être matériel, physiologique et psychologique ?
Compte-tenu des aspirations précédemment énoncées de ces N.A.S[10], la réponse est assurément NON !
Par obligation d’abord comme toujours… et il faut l’espérer par conviction ensuite… les bases d’une nouvelle relation sociale vont devoir être recherchées, imaginées, élaborées, proposées, « vendues » aux impétrants, leur offrant, intégrées à la recherche d’une candidature pour un poste, des réponses séduisantes et convaincantes à leurs besoins d’accomplissement.
Bien au-delà du simple énoncé des clauses substantielles du contrat de travail proposé, l’embaucheur va devoir se préparer à répondre aux questions suivantes…
Sur l’entreprise…
- Quelle est sa vocation, son projet, son ambition, ses enjeux, sa réputation ?
- Quelles sont ses finalités, ses valeurs, son éthique, ses objectifs à court, moyen et long terme ?
- Quelles sont les règles du jeu vis-à-vis de ses clients, de ses fournisseurs, de ses partenaires, de ses concurrents, des tiers ?
- Quel est son positionnement et sa stratégie concurrentiels ?
Sur le management…
- Quelles sont les règles du jeu vis-à-vis des collaborateurs ?
- Quelles sont les responsabilités, la zone de pouvoir, les délégations, les moyens de communication interne ?
- A quel type et mode de reporting est-on astreint ?
- Quels sont les critères d’évaluation de la performance individuelle et/ou collective ?
Sur la gestion sociale…
- Peut-on bénéficier d’un plan pluriannuel de formation ?
- Peut-on établir un plan de carrière ?
- Le temps de travail est-il flexible et le télétravail possible ?
- Quelles sont le facilités de vie professionnelles, familiales et sociales ?
Sur les moyens « métier »…
- Bénéficie-t-on d’un accompagnement et du soutien d’une équipe ?
- « L’outillage » est-il avant-gardiste et performant ?
- Le poste de travail est-il ergonomique ?
- Existe-t-il un espace dédié à la détente et/ou à la réflexion ?
Sur la rétribution…
- Au-delà du salaire comment se répartit la valeur créée (participation – intéressement – primes de bilan – avantages produits[11]…) ?
- Finance-t-on un contrat de retraite par capitalisation ?
- Bénéficie-t-on d’une aide sociale (ex. participation à des frais de garde d’enfant, à des coûts de transport et de restauration…) ?
- Propose-t-on l’actionnariat ?
C’est à l’aune des réponses à ses interrogations, à la pertinence et à la concordance des propositions émises face à ses souhaits, à ses buts professionnels et personnels, à ses références mentales, morales voire spirituelles, que l’employable condescendra a devenir employé !
On aurait rêvé que les partenaires sociaux se saisissent de cette évolution/révolution sociétale et y participent comme forces créatrices et innovatrices de propositions/solutions réformistes, mais en France, c’est beaucoup trop demander à des institutions syndicales patronales et salariales non-représentatives, rétrogrades, dont la préoccupation « politicarde » l’emporte de très loin sur l’impérieuse nécessité du rééquilibrage progressiste de la relation sociale.
[1] Motivé(e) en latin.
[2] Plateforme collaborative sur l’économie, le marché de l’emploi et les ressources humaines en Suisse.
[3] Les 6 générations : Les « baby-boomers » : individus nés entre 1946 et 1964 – La génération « X » : entre 1965 et 1979 – La génération « Y » : entre 1980 et 2000 – La génération « Z » : à partir de l’an 2000 – La génération « Alpha » : à partir de 2010.
[4] Créée en 1954 par Abraham Maslow, psychologue américain humaniste, la pyramide des besoins a pour rôle de hiérarchiser les besoins des individus. Cinq besoins y sont recensés : les besoins physiologiques, le besoin de sécurité, le besoin d’appartenance, le besoin d’estime et le besoin d’accomplissement.
[5] Un concessionnaire du Syndicat National des Entreprises de Service et Distribution du Machinisme Agricole, d’Espaces Verts, et des Métiers spécialisés (élevage, irrigation, viticole-vinicole…) (SEDIMAG N°337 – Février/Mars 2023).
[6] L’expression « maître de forges » fait référence au propriétaire et dirigeant d’établissement métallurgique de production de fer, de fonte ou d’acier. (source Wikipédia)
[7] Maladie à coronavirus 2019.
[8] Citation philosophique d’origine inconnue.
[9] Au sens anthropologique du terme.
[10] N.A.S = Nouveaux Acteurs de la Société.
[11] Conditions particulières avantageuses pour l’acquisition de biens ou de services produits par l’entreprise.