On m’appelle King !
L’irremplaçable extravagant Professeur LAMBERT[1] m’aurait présenté comme « le » terrible Lion de l’Atlas à crinière noire !
Je suis né au Cirque, c’est ma maison !
Juste après ma naissance, j’ai assidument fréquenté la caravane de mon « père-éducateur », le lait de ma maman, merveilleuse lionne au regard ambre perçant, ne me contentant pas… J’y ai vécu des jours heureux à mordiller et détruire ses pantoufles et les coussins de son canapé !
Au fil du temps, comme au conservatoire pour les apprentis comédiens, on m’a patiemment appris, savoureuses récompenses en échange, à exploiter sur instructions, mes aptitudes naturelles au saut, au lever, au coucher, au ramper, au bouncing[2], mais aussi, à intervalles réguliers, pour la seule gloire de mon courageux[3] partenaire instructeur, à manifester ma puissance et mon charisme de roi des animaux, par l’expression corporelle querelleuse et sonore de mon caractère de râleur importuné, pour ne pas dire de « gueulard » instinctif contrarié…
Docile à l’apprentissage du métier d’artiste de la piste enchantée, je ne me suis toutefois jamais laissé intégralement dominer par « mon père vertical », averti suffisamment tôt de mes humeurs pour éviter prudemment mes canines et mes griffes, protectrices de tout excès de pouvoir.
Je suis donc peu à peu devenu l’altière vedette (redoutée des spectateurs des loges à cause de mes jets d’urine sciemment et malicieusement dirigés), de « l’entrée de cage » du début de la première ou de la deuxième partie du spectacle (montage et démontage de la cage circulaire obligeant) !
La ou les représentation(s) quotidienne(s) est (sont) des plaisirs indicibles pour le « cabot » que je suis devenu, toujours généreusement salué par des applaudissements d’enfants fascinés par ma légendaire stature, ainsi que par ceux de spectateurs adultes exorcisant à travers moi, leur mal d’exotisme, d’intimidation et/ou de domination manquée (voisin, épouse, belle-mère…), frustrés dans leur quotidien banal, d’exploits courageux, d’odeurs sauvages et/ou de sensations fortes…
Les accents musicaux, intense vibration annonciatrice du début du spectacle, me font à chaque fois frémir de plaisir et dès lors, je n’attends plus que ce moment sublime de mon entrée en piste, sous ces regards impressionnés des enfants, admiratifs des femmes et jaloux des hommes !
De retour dans mon appartement toujours bien entretenu (paillé l’hiver et revêtu de sciure l’été), à l’instar de mes congénères broussards j’y sieste entre dix et quinze heures par jour. Plutôt paresseux et inactif notre qualité de dominant nous incline en effet à veiller et protéger la tribu, nos compagnes se chargeant de la chasse lorsque la nourriture manque, ce qui n’est jamais le cas chez nous ou la viande est servie chaque jour à domicile : le luxe ! Mon espérance de vie est ici de 25 ans alors que dans la savane elle ne serait que d’une quinzaine d’années…
Dans la ménagerie, je peste parfois à entendre des quidams s’étonner de mon indolence, à écouter les inévitables tenants de la théorie du complot assurer qu’on me drogue pour me rendre docile et je ne me résoudrai jamais à subir les quelques jets de pierre des plus audacieux pour que je me lève, un lion se devant évidemment de rugir et de se tenir debout sur ses quatre pattes…
Pauvres crétins ignares !
D’un regard doré imperturbable, inquisiteur, je scrute longuement à votre insu, le fond de votre âme…
Je ne vous admire ni ne vous envie derrière vos barreaux, prisonniers de vos certitudes, esclaves de vos préjugés, otages de vos idéologues, pseudo défenseurs fanatisés des espèces animales, qui réclamez, bêlant en troupeau, la fin de notre soi-disant asservissement et/ou maltraitance, alors que vos semblables abandonnent chaque année, sans aucun état d’âme, plus de 100.000 de leurs compagnons à quatre pattes sur les routes ou dans des refuges…
Je vous hais de tout mon être…
- Vous, qui ne vous émouvez pas des méfaits immondes commis en brousse par des braconniers amoraux, des trafiquants corrompus, ainsi que du massacre de mes frères et sœurs élevés à cet effet, perpétré dans des enclos[4] par de riches assassins avides d’un trophée, « tiré » au prix de quelques milliers de dollars…
- Vous, qui restez impassibles face à l’éradication de tant d’espèces à raison de la disparition de leur habitat, pour qu’une filière de profiteurs[5] irresponsables continuent à produire votre pâte à tartiner préférée…
- Vous, qui sans vergogne, faisant hypocritement justice au nom de votre société, enfermez vos semblables dans des cellules de prisons surpeuplées, aux surfaces inférieures à celle de ma loge de repos…
- Vous, qui jetez chaque jour des montagnes de nourriture et qui fermez les yeux sur des millions d’enfants affamés de par le monde…
- Vous, qui laissez au quotidien vos propres « petits » se faire humilier, harceler, droguer, rançonner, intoxiquer matériellement et spirituellement et qui n’hésitez pas, régulièrement depuis des siècles, à en faire de la chair à canon pour des causes que vous déclarez justes…
- Vous, membres embrigadés d’une population d’assistés pleurant la bouche pleine, tournant pudiquement le dos à la vrai sauvagerie des Hommes[6] qui chaque jour s’exprime sur cette terre en des massacres atroces des uns et des autres ; vous qui confondez par complaisance intellectuelle lorsque cela vous arrange, les espèces, les genres, le sauvage et le domestique[7]…
- Vous, qui, pour faire élire « le Roi des fous[8] », avez fait voter une loi humaine scélérate scellant le sort de centaines de mes congénères « animaux artistes » de toutes espèces, condamnant à la mort professionnelle mon « père-éducateur » et sa famille, balayant des siècles de pédagogie animale artistique et ruinant à tout jamais nombre d’établissements de spectacles traditionnels populaires ayant séculairement fait rêver des générations de spectateurs assidus et illuminé le sombre quotidien de dizaine de millions de vos concitoyens à travers le pays…
- Vous, imbéciles malheureux, sectaires et xénophobes vis-à-vis des non-sédentaires comme des étrangers, qui rêvez de me voir arraché à ma famille du Cirque, à mon état « d’animal artiste », pour être livré comme condamné innocent de tout crime à un asile-mouroir bienpensant ; vous qui assimilez les animaux aux Hommes[9] et simultanément feignez d’ignorer ce lien affectif profond inextinguible, cet « amour » filial qui m’attache à celui qui m’a élevé, nourri, soigné, éduqué, révélé, protégé, que vous brisez arbitrairement, despotiquement d’un trait de plume idéologique et/ou politique ; vous qui imposez ma stérilisation, mon isolement, assimilez l’état concentrationnaire au bien-être et programmez ma mort lente par désespérance, sorte d’holocauste pour animaux de Cirque issus de la faune sauvage…
Je vous hais de toute ma force et si un jour j’en ai l’occasion, soyez sur vos gardes : je ne manquerai pas de vous faire payer dans votre chair votre incommensurable bêtise humaine !
Retenez mon nom, on m’appelle King et je suis le plus heureux des lions dans mon CIRQUE !
[1] Le professeur LAMBERT, fondateur de La Ménagerie coloniale : établissement qui fit les beaux jours des champs de foire avec sa joyeuse parade et son incroyable boniment. (Source : l’Inter Forain)
[2] Bouncing : Saut pirouetté que font les fauves lorsqu’ils bondissent sur les parois de la cage centrale.
[3] Selon le professeur LAMBERT, « les dresseurs étaient à la merci d’un grave accident à chaque exhibition ». Voir prospectus forain de l’époque.
[4] Le Canned Lion Hunting, ou en d’autres termes, la chasse du lion en « boîte ».
[5] Individu qui tire profit de…
[6] Au sens ethnologique du terme.
[7] Au Pakistan, les lions sont des animaux domestiques comme les autres. Il y en aurait plus de 300 dans la ville de KARACHI.> (Source HUFFPOST)
[8] « Le Roi des fous » : sketch écrit et interprété par Roland MAGDANE.
[9] L’antispécisme est un mouvement philosophique selon lequel l’espèce à laquelle appartient un animal ne doit pas fonder la manière de le considérer ou de le traiter. Les antispécistes estiment que tous les animaux, humains compris, sont d’égale importance, que leur sensibilité et leurs souffrances doivent être pris en compte. Ce mode de pensée conteste la forme de discrimination qui vise à placer l’homme au sommet de l’ensemble des espèces du monde vivant. (Source : Le Mag des Animaux – Editions OUEST France)