LA CONCILIATION EST-ELLE L’HYPOCRISIE DE LA JUSTICE ?

By 18 septembre 2022 Emotions

« La conciliation est-elle l’hypocrisie de la justice… »

Une réponse positive à cette interrogation fait partie de l’un des nombreux aphorismes assénés en son temps, par Maître Charles DUMERCY (Avocat et homme de lettres belge – 1848-1934) !

Si on me posait cette impertinente question, que serais-je donc aujourd’hui tenté de répondre, après un peu plus d’une année de pratique et près d’une centaine de saisines enregistrées et traitées… ?

Épris de justice « depuis la naissance » par dogme familial et culture, magistrat consulaire pendant 15 années, j’ai en effet répondu favorablement en 2021 à la sollicitation d’un parlementaire, en me portant candidat à la fonction de conciliateur de justice dans le ressort de l’une des deux Cours d’Appel de ma région.

Je rappelle que la conciliation de justice, née en 1978, est une forme amiable gratuite de règlement de conflits liés le plus souvent à la vie quotidienne ; elle remplace notamment le juge de proximité supprimé en 2017 pour des litiges inférieurs à 5.000 € ; le conciliateur de justice est un auxiliaire de justice bénévole, indépendant et impartial ; la procédure est confidentielle et consiste, après écoute contradictoire, en la recherche d’un accord équitable négocié entre les parties, voire d’une réconciliation.

Ma première impression (première leçon d’humilité) fut celle d’un plongeon dans les réalités de « la France d’en bas », selon l’expression consacrée de Jean-Pierre RAFFARIN, la sensation d’une immersion brutale dans les désarrois et les difficultés de la vraie vie de nos concitoyens ; non pas qu’ils m’aient été totalement étrangers ou méconnus jusqu’alors, mais situés suffisamment loin du cercle familial, social ou professionnel confortable dans lequel j’évoluais, pour qu’ils m’apparaissent souvent flous, insignifiants, et/ou inintéressants…

Ma seconde impression (rappel de ma fréquentation passée des justiciables) fut la redécouverte du caractère illimité de la nature et de l’imagination humaines quand il s’agit de nuire à autrui, de mentir, de blesser, de dissimuler, de soustraire, de détourner, de tromper, de dénoncer, de défavoriser, de « jouer la montre », de déformer, de contrarier, de discréditer, de détruire… pour résumer simplement : « d’em…poisonner » et de faire souffrir délibérément et injustement ses semblables…

Ma troisième impression (dans la continuité d’un vécu permanent) fut…

  • d’une part, la confirmation du mépris, de l’arrogance et du sentiment d’impunité émanant des puissants (groupes énergétique, de communication, de logement social, de distribution alimentaire et/ou non-alimentaire, de transport, mais également de collectivités locales bailleresses : par exemple les mairies…), souvent en situations de monopoles ou d’oligopoles de fait, vis-à-vis de leurs clients et/ou de leurs usagers,
  • et d’autre part, vue sous un autre angle, la vérification de la froideur, de l’inaccessibilité, de la complexité, de l’inflexibilité des systèmes administratifs irriguant verticalement et horizontalement notre pays, nourrissant l’irresponsabilité statutaire des agents à l’égard de leurs concitoyens.

Ce n’est qu’ensuite, au bout de quelques mois d’exercice, que je fus brusquement envahi par un sentiment d’inégalité, d’injustice ; préoccupé par cette sensation amère de déloyauté qui détourne votre regard de vous-même. Dans ce substitut de justice que j’acceptais de conduire, j’avais l’impression de ne servir ni l’institution dont je dépendais, ni cette haute valeur républicaine inscrite au fronton de nos palais nationaux : l’ÉGALITÉ.

En effet, au cours du processus de conciliation, les « victimes », résilientes, tolérantes, épuisées ou dotées d’une infinie bienveillance, m’apparaissaient toujours prêtes à abandonner contre la paix du corps et de l’âme, une partie de leurs droits, au bénéfice de leurs « offenseurs, provocateurs et/ou agresseurs », lesquels, tout compte fait, n’y perdaient guère en concessions, voire y gagnaient, en évitant surtout, les conséquences civiles et/ou pénales d’une action judiciaire susceptible d’être engagée par le demandeur à leur encontre.

J’avais acquis cette horrible sensation de contribuer à donner raison à des « condamnables blanchis » et ce faisant, de favoriser la poursuite de leurs exactions futures.

Très subsidiairement, après plusieurs réunions avec mes pairs, je ne me suis guère senti à ma place non plus dans le microcosme associatif des conciliateurs de justice ou certains égos assez bien dimensionnés, condescendants, aux lustres éteints, se repaissent et se satisfont de relations de cour ou affinitaires… avec la haute magistrature professionnelle.

Au terme d’une année d’expériences vécues parfois douloureusement, le refus de solliciter le renouvellement de cette mission m’apparaissait dès lors évident et inéluctable ! La mission conférée était-elle finalement utile ? N’étais-je pas trop idéaliste vis-à-vis de la justice ?

La sagesse d’une Magistrate éclairée et éclairante me fit utilement réfléchir et me convainc définitivement du contraire (deuxième leçon d’humilité)…

Tout bien considéré en effet, examinant les choses d’un point de vue différent…

  • Des milliers de procès à modestes enjeux évités. Des citoyens reçus et écoutés avec le temps nécessaire, traités équitablement et impartialement, sans frais. Un pourcentage non-négligeable d’entre-eux reconnu, satisfait, apaisé, reconnaissant, réconcilié. La « noblesse » du bénévolat. Le portefeuille du contribuable largement épargné…

… l’utilité de la conciliation et de ses conciliateurs ne faisait finalement plus de doute !

  • Quant à la justice des hommes, l’édile émérite me confia qu’il fallait à son égard rester modeste (troisième leçon d’humilité), qu’il ne fallait pas attendre d’elle plus que ce qu’elle était en mesure de donner ; qu’elle restait toutefois un objectif : « la quête de l’inaccessible étoile » aurait chanté Jacques BREL. Après tout, l’idéal est-il une fin en soi ? Existe-t-il vraiment ?

… l’idéalisme étant selon Georges BRAQUE une forme convenue de l’espérance, en tant qu’opposant aux convenances, l’espoir me suffisait pour agir !

Ainsi apaisé, sollicitais-je le renouvellement de la fonction pour trois années !

Dès-lors, que répondre à la question posée en tête du présent article : « La conciliation est-elle l’hypocrisie de la justice ? »…

Selon les dictionnaires de langue française, l’hypocrisie est « une action, une parole destinée à tromper sur les sentiments, les intentions véritables de quelqu’un… ».

En imposant la conciliation aux justiciables, le législateur leur a-t-il donc manifesté l’intention de les berner en leur offrant une « pseudo ou une sous-justice » ?

Au terme de mon cheminement, de mes doutes et de mes interrogations, j’ai enfin acquis la conviction du contraire, concilier consistant précisément à rechercher un accord équitable, à respecter les équilibres des situations en présence pour proscrire les inégalités et donc rendre le droit plus juste quand sa règle peut paraître parfois si injuste.

C’est ainsi que le conciliateur ne juge pas !

J’oserais même avec certitude, affirmer ici et maintenant, que « la conciliation n’est que le bon sens de la justice ! »

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